Concert du marché – Réformation 2015

 

Un concert du marché, église des maraichers oblige, vient d’être donné en l’église Sainte-Aurélie autour de « Musique et textes autour de la Réformation à Strasbourg ».

Concert d’orgue – Jean-François Haberer et lectures Petra Magne de la Croix

 

Programme :

 

Johann Pachelbel (1653-1706) : Ricercare in c

  L’éducation religieuse des jeunes enfants à Strasbourg au début de la Réformation

 

Christian Flor (1626-1697) : Ein feste Burg ist unser Gott

L’enseignement des filles

 

Johann Pachelbel : Ein feste Burg ist unser Gott

Johann Gottfried Walther (1684-1748) : Ein feste Burg ist unser Gott

Elisabeth Silbereisen et Wibrandis Rosenblatt – épouses de Réformateur

 

Johann Nicolaus Hanff (1665-1712) : Ein feste Burg ist unser Gott

Johann Christian Bach (1735-1782) : Ein feste Burg ist unser Gott

Le nouveau rôle des épouses des Réformateurs

 

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Präludium und Fuge in C (BWV 545)

 

 


 

Les textes lus durant le concert :

Textes autour du thème « Femmes et Réformation à Strasbourg » d’après : Anne-Marie Heitz-Muller, Femmes et Réformation à Strasbourg (1521-1549) Presses Universitaires de France

 

Education religieuse des jeunes enfants

 

Pour les Réformateurs strasbourgeois l’éducation des très jeunes enfants était principalement religieux. Ils conseillaient ainsi d’enseigner les petits au moyens de prières et de cantiques.

Dans un écrit de 1543, Martin Bucer recommandait d’habituer les tout petits à prier :

« Il est chrétien et bon d’habituer les petits enfants à prier assidûment et qu’on leur en donne l’exemple pour ce qui est de la forme, de la mesure et de l’ordre, à savoir quand, quoi et combien de fois ils doivent prier. Il ne faut cependant pas en faire une loi, et lier leur conscience, mais les inciter à prier par de bonnes paroles et des récompenses adaptées aux enfants. »

« So ist christlich und gut, dass man die jungen Kinder fleissig zum Beten gewöhne und jenen Form, Mass und Ordnung darinnen furgebe, wann, wo und wie oft und warum sie bitten sollen.

Nicht dass man Gesetz daraus mache und die Gewissen damit verstricke,

sondern sie mit guten Worten und kindischen Belohnungen dazu reize. »

 

On peut supposer que ces récompenses se faisaient sous forme de nourriture puisque dans un autre texte, Bucer reprend l’idée d’une double alimentation, à la fois materielle et spirituelle.

Bucer demande en effet un certain engagement de la part des parents et des proches, mais aussi de l’église tout entière, afin que dès le berceau, l’enfant soit imprégné du Christ comme du lait de sa mère :

« Alors outre les proches, les parents et les marraines, nous nous lions à l’assemblée tout entière des personnes présentes et lui accordons la faveur de s’élever vers Dieu et de former les enfants qu’ils consacrent pour que nous mettions tout nos soins à ce que les enfants, dès leur enfance boivent le Christ comme le lait de leur mère. »

 

L’éducation religieuse des jeunes enfants relevait, selon Bucer, de la responsabilité de l’Eglise, mais aussi des parents et des proches, dans le cadre du culte domestique.

Les adultes étaient formés par les Réformateurs à lire et à comprendre la Bible. Les parents pouvaient alors, chaque jour, réunir leur famille pour un temps de prière et de lecture des Ecritures, généralement présidé par le père de famille. A Strasbourg cette méditation était facilité par le coût raisonnable de la Bible : en 1522, le Nouveau Testament ne coûtait pas plus que le prix de deux lapins, ce qui permettait à une grande partie des familles d’en posséder un.

 

Les chants religieux contribuaient à l’édification des croyants et à l’instruction des enfants. L’épouse du Réformateur Zell, Catherine Zell écrit « Laissez-les donc chanter des chants divins dans lesquels ils sont exhortés à chercher la connaissance de leur Salut, et enseigne ton enfant et ton domestique, afin qu’ils sachent qu’ils ne servent pas les hommes, mais Dieu. »

« So lass sie doch nun göttliche Lieder singen, darin sie ermahnet werden, und erkennen ihr Heil zu suchen. Und lehre dein Kind und Gesind, dass sie wissen, dass sie nicht den Menschen sondern Gott dienen. »

 

Catherine Zell écrit encore :

« Une pauvre mère, qui aimerait tant dormir et qui à minuit, doit bercer son enfant en pleurs, lui chante un air qui parle des choses divines ; c’est ce qu’on appelle bercer correctement un enfant – lorsque cela se fait dans la foi – et cela plaît à Dieu. »

« Eine arme Mutter so gern schlief, und aber zu Mitternacht muss das weinend Kind wiegen : ihm also ein Lied von göttlichen Dingen singt. Dass heisset und ist das recht Kindel wiegen, so geschieht es im Glauben, das gefällt Gott. »

 

Martin Bucer partageait aussi les recommandations des pédagogues de son temps, qui alliaient le plaisir de l’enfant à l’apprentissage et recommanda d’apprendre des prières aux enfants, aussi bien aux filles qu’aux garçons, par le moyen du chant :

ils doivent les encourager à chanter et ne pas leur permettre d’écouter ni de chanter des chants superficiels, profanes et paillards. » 

 

Enseignement des filles

 

L’enseignement pour le filles prôné par Martin Luther visait surtout à former de meilleurs mères et maîtresses de maison. Sous son influence, mais aussi celle de l’esprit humaniste selon lequel l’éducation était nécessaire au bien de la communauté, Bucer et les partisans du mouvement évangélique à Strasbourg plaidèrent eux aussi pour l’instruction des jeunes gens, notamment des filles.

 

L’enseignement catéchétique était dispensé à Strasbourg depuis 1526, par les pasteurs de Saint-Piere-le-Jeune, Saint-Pierre-le-Vieux et Sainte-Aurélie. Cette instruction avait lieu tous les dimanches, en général l’après-midi et durait entre une heure et une heure et demie.

L’ordonnance ecclésiastique de 1534 atteste la généralisation de cette pratique dans la ville, et nous livre également le contenu de l’enseignement, à savoir le Credo, le Notre Père et les dix commandements, soit les points fondamentaux des catéchismes évangéliques.

Ces enseignements témoignent de l’aspiration de faire de Strasbourg en même temps qu’une ville sainte, une ville savante.

 

La tentative d’implanter des écoles de filles à Strasbourg en témoigne aussi.

La Réformation poussa à la fermeture des couvents, ces lieux d’éducation pour les jeunes filles de bonnes familles. Elle favorisa en revanche l’ouverture à une culture à laquelle la grande majorité des femmes n’aurait jamais eu accès, puisqu’elle leur permit d’apprendre à lire et à écrire. Les Réformateurs ne les empêchèrent pas non plus d’approfondir leurs connaissances, notamment dans les langues anciennes, pour pouvoir lire les textes pieux dans leur langue originale : Catherine Zell elle-même aurait suivi les cours de Martin Bucer.

Comparées aux filles d’autres villes allemandes de cette époque, les jeunes Strasbourgeoises pouvaient s’estimer particulièrement bien pourvues en matière d’éducation. Dès 1535, deux écoles communales de filles, dont les professeurs recevaient des subventions de la ville, étaient ouvertes. De plus, une femme fut nommée à la tête d’une de ces deux écoles dès 1541.

 

 

Un nouveau rôle : femme de pasteur et de réformateur

Tous les Réformateurs strasbourgeois de la première génération trouvèrent une épouse. Martin Bucer arriva à Strasbourg avec son épouse Elisabeth Silbereisen.

 

Elisabeth Silbereisen avait épousé Martin Bucer en été 1522.

Elle n’a pas laissé d’écrits théologiques, comme son mari. A la fin des lettres de son mari, nous trouvons des petits messages ajoutés de sa part. C’est par la correspondance de Martin Bucer qu’une biographie sur Elisabeth Silbereisen peut être reconstituée.

Elle est née en 1495 comme fille d’Anna Palass et du forgeron Jacob Silbereisen, deux puissantes familles de Mosbach. Suite au décès de ses parents en 1511, ses proches, profitant de son âge, la contraignirent d’entrer au couvent de Lobenfeld, comme l’explique Martin Bucer dans son « Grund und Ursach » « Alors certains de ses proches, par des ruses prodigieuses et des exhortations incessantes – que, en tant que jeune fille dépourvue de jugement, pudique et craintive, il lui était impossible de passer outre – ont pris soin d’elle en la forçant à entrer au couvent pour mettre la main sur les biens provenant de l’héritage de son père et de sa mère. »

«  dann sie mit wunderbarlichen Lüsten und ungehörtem Anhalten, ir als einer jungen unverständigen, schamhaftigen und furchtsamen Tochter zu umgehen unmöglich, von ettlich ir verwandten, als zu besorgen des guts halb, so sie ihr väterlichen und mütterlichen Erbs halb in ein Kloster gedrungen worden ist. »

 

La vie conventuelle ne convenait pas à Elisabeth. La jeune fille quitta Lobenfeld en 1522, notamment pour des raisons de santé. Elle fut prise en charge par son beau-frère, qui l’emmena à Worms, ville réputée pour la science de ses médecins et ses pharmaciens.

Choquée par les scandales liées au mode de vie des religieux, et convaincue que le mariage était conforme à la volonté divine, Elisabeth décida de se marier. Elle épousa Martin Bucer – on ignore comment ils se sont rencontrés – au cours de l’été 1522 à Landstuhl. En novembre, Bucer décida d’amener son épouse chez son père à Strasbourg, avant de partir pour Wittenberg afin d’y poursuivre ses études. Il fit étape à Wissembourg, où Henri Motherer, le curé de la paroisse Saint-Jean, lui demanda de rester pour l’aider à annoncer l’Evangile.

Bucer fut engagé en tant que vicaire pour six mois : les prédications qu’il prononçait polémiquaient avec rudesse contre l’Eglise traditionnelle et engendrèrent des troubles. L’évêque de Spire et son Vicaire Général firent pression sur le Conseil de la ville, majoritairement favorable à Bucer, pour y mettre fin. Bucer fut excommunié et contraint à quitter la ville avec Motherer, en secret pour ne pas susciter de révolte ; c’est ainsi qu’Elisabeth Bucer, alors enceinte, fuit nuitamment avec son mari en direction de Strasbourg, où le couple s’établit à partir de la mi-mai 1523.

 

L’épouse de Bucer lui avait permis de se décharger entièrement des tâches domestiques et de se consacrer pleinement à sa vocation :

« Le bon Dieu m’a donné auparavant pendant presque vingt ans une épouse si pudique, si honorable et si pieuse, mais aussi industrieuse dans toutes les tâches ménagères et le travail, comme le savent beaucoup de chrétiens pieux. »

Mais ce n’est pas uniquement parce qu’elle l’avait déchargé des contraintes matérielles qu’Elisabeth avait été une aide pour son époux. Elle avait également participé de manière directe à son ministère de l’amour du prochain : « Par elle, j’ai manifestement progressé dans mon service et pas seulement en ce qu’elle m’a libéré de tous les soucis ménagers et temporels, mais aussi par son zèle et par son souci de pourvoir à ce qui est nécessaire au corps : même lorsque nous n’étions pas très aisés, elle a sagement investi et partagé, en sorte que nous avons pu rendre service à des bien plus humbles serviteurs du Christ, et ce, bien mieux que je n’eusse pu le faire, si j’étais resté seul. »

 

L’aide d’une épouse était très précieuse à Martin Bucer, y compris pour son ministère.

Sa femme devait être consciente de ce fait puisqu’elle lui conseilla de se remarier après sa mort. Elle alla jusqu’à choisir sa seconde épouse, d’une part à cause des enfants de cette veuve, mais peut-être aussi parce qu’elle jugeait cette femme capable de poursuivre la tâche qu’elle s’était elle-même fixée, seconder Bucer.

Ce dernier reconnaissait que son service était trop empêché par le fait de rester sans aide dans son foyer et qu’il fallait qu’il prenne maintenant une autre aide conjugale et maitresse de maison.

Elisabeth Silbereisen était emporté par la peste en novembre 1541, après Capiton. Elle a eu 13 enfants avec Martin Bucer, dont seul un fils survécut. Elle avait demandé à son mari, sur son lit de mort, d’épouser la veuve de Capiton, Wibrandis Rosenblatt, pour le bien notamment de leurs enfants réciproques. Les deux veufs se soumirent à cette dernière volonté.

En mars 1542, Martin Bucer, confia à Blarer : Les raisons qui me poussent à un tel pas sont la vertu de la veuve et l’amour que je dois aux orphelins de l’homme qui a tant mérité de moi.

 

La maison comptait à présent six enfants, dont un seul de Bucer, Nathanaël – handicapé physique et mental -, et la mère malade de Wibrandis. Wibrandis sut gerer son nouveau foyer et faire face aux épreuves ; elle donna deux autres enfants à Bucer, adopta une nièce orpheline et n’hésita pas à accueillir des étrangers. Suite à l’interim, Wibrandis accepta de se réfugier en Angleterre pour suivre son époux. A la mort de ce dernier, elle ramena toute la famille sur le continent. Elle décéda en 1564 de la peste, qui avait déjà emporté tant de membre de sa maison.

 

 

Le nouveau rôle des épouses de Réformateur

 

Les épouses des premiers Réformateurs avaient à assumer des tâches domestiques et il leur revenait également de jouer un rôle plus large.

Elles se virent confier une véritable mission, celle de manifester et de promouvoir un certain nombre de valeurs spirituelles.

Catherine Zell était consciente de cette fonction.

Aussi s’appliquait-elle à mettre en pratique les paroles de son époux : «Il a prêché contre toute idolâtrie et toute absence de foi, que j’ai moi-même abandonnées et fuies Il a enseigné à propos de la vraie foi en Christ, cela je l’ai saisi dans mon cœur par le don et la puissance de l’Esprit Saint. Ainsi, lorsqu’il a enseigné qu’on devrait témoigner envers le prochain amour et miséricorde, je l’ai fait, nuit et jour, selon mes capacités et selon les forces de mon corps. »

« Matthias Zell hat wider alle Abgötterei und Unglauben geprediget, das hab ich gelassen und geflohen. Er hat von wahrem Glauben in Christus gelehrt, den hab ich durch die Gab und Kraft des Heiligen Geistes in mein Herz gefasset. So hatt er von der Liebe und Barmherzigkeit dem Nächsten zu beweisen gelehrt, das hab ich nach Vermögen und Kräften meines Leibes Tag und Nacht getan. »

 

Ce sont en effet les valeurs d’amour et de compassion – au travers de l’accueil et du soin accordé aux plus faibles – que les épouses des Réformateurs contribuèrent le mieux à diffuser. Leurs maisons furent ainsi ouvertes à des nombreux visiteurs, comme l’atteste par exemple la correspondance de Bucer qui mentionne souvent des hôtes étrangers. Suite au second mariage de Bucer, cette tradition d’accueil fut non seulement conservée, mais encore amplifiée. Aux visiteurs occasionnels s’ajoutèrent les quatre enfants et la mère de Wibrandis, les enfants que Bucer avait eus de son premier mariage ainsi que ceux qu’il eut avec cette seconde épouse.

 

Les Réformateurs prirent grand soin de choisir une épouse désireuse de vivre conformément aux idées évangéliques. Leurs foyers servirent de modèle pour la communauté chrétienne, et leurs épouses d’exemples pour les autres femmes.

Ces modèles, largement encouragés par la Réformation, contribuèrent à établir un véritable « état » (Stand) de femme de Réformateur ; celui-ci conduisit à une revalorisation, dans l’esprit des hommes, de l’ensemble des épouses et des mères, ainsi que de leurs tâches domestiques. 

 

Petra Magne de la Croix


 

 

Orgue Andreas Silbermann : Jean-François Haberer

Lectures : Petra Magne de la Croix

Les lectures sont du livre de Anne-Marie Heitz-Muller « Femmes et Réformation à Strasbourg (1521-1549), PUF 2009

Eglise Sainte-Aurélie pour le 31 octobre 2015